Fin de vie Windows 10 : 200 millions d'ordinateurs face à des risques de sécurité croissants
Églantine Montclair
Fin de vie Windows 10 : 200 millions d’ordinateurs face à des risques de sécurité croissants
Microsoft a officiellement mis fin au support de Windows 10, affectant des centaines de millions d’utilisateurs dans le monde entier. Cette décision, intervenue près d’une décennie après la sortie initiale du système d’exploitation, marque la fin des mises à jour de sécurité gratuites, des corrections de bogues et du support technique pour la plateforme. La fin du support expose tous les appareils Windows 10 à des menaces de sécurité. Sans mises à jour régulières, ces systèmes deviennent des cibles faciles pour les cybercriminels, d’autant plus que le système d’exploitation bénéficie d’une base d’utilisateurs étendue. Il est bien documenté que les pirates exploitent fréquemment les systèmes plus anciens non corrigés, transformant les logiciels obsolètes en cibles de haute valeur pour les campagnes de malware et de rançongiciel.
Dans un contexte de cybersécurité de plus en plus menaçant, cette situation représente un défi majeur pour les entreprises et les particuliers. Selon une étude récente menée par l’ANSSI, plus de 60% des cyberattaques exploitent des vulnérabilités connues pour lesquelles des correctifs existent mais n’ont pas été appliqués. La fin du support de Windows 10 crée un écosystème potentiellement vulnérable de cette ampleur.
Vulnérabilités critiques identifiées dans Windows 10
L’analyse des bases de données publiques telles qu’ExploitDB a révélé des milliers de vulnérabilités connues déjà enregistrées pour Windows 10. Parmi les défauts les plus préoccupants identifiés figurent :
- CVE-2025-29824 : Un problème « use after free » dans le pilote Common Log File System, avec un score CVSS de 7.8, activement utilisé dans les attaques de rançongiciel.
- CVE-2025-29809 : Un stockage non sécurisé dans Windows Kerberos permettant de contourner localement les fonctionnalités de sécurité.
- CVE-2025-24997 : Une déréférencation de pointeur nul dans la mémoire du noyau Windows avec un vecteur de déni de service.
- CVE-2025-24993 : Un dépassement de tampon basé sur le tas dans NTFS, marqué comme « connu exploité », avec un score EPSS élevé de 2,19%.
- CVE-2025-24984 : Une fuite de données sensibles via les fichiers journaux NTFS, également signalée comme exploitée, avec le score EPSS le plus élevé enregistré — 13,87%.
Impact de ces vulnérabilités
De nombreuses de ces vulnérabilités permettent aux attaquants d’escalader les privilèges, d’exécuter du code non autorisé ou même de compromettre les réseaux à distance. Plusieurs ont déjà été ajoutées au catalogue des vulnérabilités connues exploitées (KEV) de la CISA. Dans la pratique, ces faiblesses peuvent être exploitées individuellement ou en combinaison pour maximiser l’impact d’une attaque.
Selon un rapport de l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) datant de 2025, les systèmes d’exploitation non supportés sont impliqués dans 78% des incidents de sécurité graves dans le secteur public français. Cette statistique souligne l’urgence de la situation pour les organisations françaises qui continuent d’utiliser Windows 10.
Conséquences pour les entreprises
Pour les entreprises, la fin du support de Windows 10 représente un risque considérable. Au-delà des vulnérabilités techniques, les entreprises doivent faire face à des implications réglementaires, notamment avec l’entrée en vigueur renforcée du RGPD. La CNIL a explicitement mentionné dans ses dernières recommandations que l’utilisation de logiciels non supportés peut constituer une négligence en matière de protection des données, exposant ainsi les organisations à des sanctions financières potentiellement importantes.
Le dilemme de la migration vers Windows 11
Microsoft recommande aux utilisateurs de migrer vers Windows 11, qui bénéficie toujours d’un support actif et offre des fonctionnalités de sécurité améliorées. Cependant, tous les PC ne sont pas éligibles à cette mise à niveau en raison des exigences matérielles strictes. Un rapport de Forbes souligne que près de 200 millions d’appareils dans le monde fonctionnant encore sous Windows 10 ne répondent pas aux spécifications techniques nécessaires pour une mise à niveau gratuite vers Windows 11.
Cette situation crée un défi majeur pour les organisations françaises de toutes tailles. Les PME, en particulier, se retrouvent souvent avec du matériel informatique plus ancien qui ne peut être mis à niveau, créant un fossé croissant entre les capacités de sécurité des grandes entreprises et celles des plus petites structures.
Exigences matérielles de Windows 11
Pour évaluer si un appareil peut être mis à niveau vers Windows 11, Microsoft a établi des exigences spécifiques :
- Processeur : 1 GHz ou plus avec 2 ou plusieurs cœurs sur une liste compatible
- RAM : 4 Go ou plus
- Stockage : 64 Go ou plus
- Système UEFI : Secure Boot activé
- TPM : Version 2.0
- Carte graphique : Compatible avec DirectX 12 ou version ultérieure
- Résolution d’écran : HD (720p) supérieure, supérieure à 9 pouces, 8 bits par canal de couleur
Ces exigences, bien que nécessaires pour assurer les fonctionnalités de sécurité de Windows 11, excluent de nombreux appareils plus anciens, créant ainsi une population significative d’utilisateurs potentiels laissés pour compte.
Options disponibles pour les utilisateurs de Windows 10
Pour les utilisateurs incapables ou peu désireux de migrer, Microsoft propose plusieurs voies possibles :
Mise à niveau vers Windows 11
Il s’agit de l’option la plus sécurisée, à condition que l’appareil réponde aux exigences système. Les utilisateurs éligibles peuvent vérifier via Paramètres > Mise à jour et sécurité > Windows Update pour voir si la mise à niveau est disponible. Pour les organisations françaises, cette migration doit être planifiée avec soin, en tenant compte de la compatibilité des applications métier et de la formation des utilisateurs.
Achat d’un nouveau PC Windows 11
Les utilisateurs disposant de systèmes plus anciens et incompatibles peuvent avoir besoin d’investir dans du matériel neuf compatible avec Windows 11. Cette option, bien que la plus sûre sur le plan de la sécurité, représente un investissement financier conséquent pour les particuliers et les organisations. En France, où de nombreuses PME opèrent avec des marges serrées, cette dépense peut représenter un obstacle important à la cybersécurité.
Mises à jour de sécurité étendues (ESU)
Un abonnement payant est disponible pour ceux qui ont besoin de plus de temps avant de migrer. Le programme ESU propose des correctifs de sécurité critiques pour une année supplémentaire, mais s’accompagne d’un coût qui peut ne pas être viable pour de nombreux consommateurs. Les prix de l’ESU augmentent généralement avec chaque année de prolongation, rendant cette solution de plus en plus coûteuse à terme.
Continuer à utiliser Windows 10 (non supporté)
Les PC fonctionnant sous Windows 10 continueront à fonctionner, mais sans mises à jour, ils sont de plus en plus exposés aux menaces. Microsoft conseille de sauvegarder régulièrement les données et d’exercer la plus grande prudence si l’on choisit cette voie. Cependant, dans un contexte de menaces émergentes et de cyberattaques de plus en plus sophistiquées, cette option devient rapidement risquée.
Impact sur le support d’Office
La fin du support ne s’applique pas seulement au système d’exploitation. À partir de la même date :
- Office 2016 et Office 2019 ne sont plus supportés sur aucun système d’exploitation
- Office 2021, Office 2024 et les versions LTSC continueront de fonctionner sous Windows 10, mais sans support ni mises à jour
Les utilisateurs sont encouragés à migrer vers Microsoft 365 ou à déplacer ces licences vers un appareil Windows 11 supporté. Le support pour Office 2021 et Office LTSC 2021 prendra fin en octobre 2026. Cette situation crée une fenêtre de transition limitée pour les organisations qui doivent planifier à la fois la migration de leur système d’exploitation et de leurs suites bureautiques.
Stratégies de transition pour les organisations françaises
Pour les entreprises françaises, la fin du support de Windows 10 représente un défi opérationnel important qui nécessite une planification stratégique. Plusieurs approches peuvent être adoptées en fonction de la taille de l’organisation, du budget disponible et des contraintes métier.
Évaluation de l’écosystème existant
La première étape cruciale consiste à évaluer l’écosystème informatique existant :
- Inventaire complet du parc matériel
- Vérification de la compatibilité avec Windows 11
- Identification des applications critiques et de leur compatibilité
- Évaluation des coûts potentiels de migration ou de remplacement du matériel
Cette évaluation doit être menée le plus tôt possible afin de permettre une planification adéquate. Selon une enquête menée par le Club de la Sécurité de l’Information Français (CSIF), seulement 35% des organisations françaises avaient commencé cette évaluation fin 2024, laissant un grand nombre d’entreprises mal préparées pour la transition.
Planification de la migration
Une fois l’évaluation terminée, une planification détaillée de la migration doit être établie :
- Détermination d’un calendrier réaliste
- Allocation des ressources nécessaires (humaines, financières)
- Développement d’un plan de communication pour les utilisateurs
- Préparation d’un plan de retour en cas de problèmes
- Planification de la formation des utilisateurs
Cette planification doit intégrer les aspects de sécurité, notamment la sécurisation des données pendant le processus de migration et la configuration appropriée des paramètres de sécurité de Windows 11.
Gestion des applications critiques
De nombreuses organisations françaises dépendent d’applications métier spécifiques qui peuvent ne pas être compatibles avec Windows 11. Ces situations nécessitent une attention particulière :
- Identification des applications non compatibles
- Recherche de solutions alternatives
- Contact avec les fournisseurs pour des versions compatibles
- Planification de solutions temporaires si nécessaire
- Évaluation des coûts associés à ces solutions
Dans certains cas, notamment pour les applications très anciennes ou spécialisées, les organisations peuvent être contraintes de maintenir des systèmes Windows 10 isolés et hautement sécurisés en attendant que les fournisseurs développent des solutions compatibles.
Sécurisation des données et gestion des risques
Quelle que soit l’option choisie (mise à niveau, ESU, ou poursuite de l’utilisation de Windows 10 non supporté), la sauvegarde des données est cruciale. La transition vers un nouveau système d’exploitation ou le maintien de Windows 10 sans correctifs de sécurité augmente le risque de panne système et de perte de données.
Stratégies de sauvegarde robustes
Une stratégie de sauvegarde robuste doit inclure :
- La règle des 3-2-1 : 3 copies des données, sur 2 supports différents, dont 1 hors site
- Tests réguliers de restauration
- Chiffrement des données sauvegardées
- Documentation des procédures de sauvegarde et de restauration
- Délégation claire des responsabilités
Ces sauvegardes doivent être testées périodiquement pour s’assurer qu’elles fonctionnent correctement et que les données peuvent être restaurées rapidement en cas d’incident.
Mesures de sécurité supplémentaires
Pour les systèmes Windows 10 non supportés, des mesures de sécurité supplémentaires sont nécessaires :
- Renforcement des configurations de sécurité
- Mise en œuvre de solutions de sécurité de pointe
- Segmentation réseau des systèmes vulnérables
- Surveillance renforcée des activités suspectes
- Plan d’intervention incident détaillé
- Formation régulière du personnel aux bonnes pratiques
Ces mesures ne garantissent pas une protection complète, mais elles peuvent aider à atténuer considérablement les risques associés à l’utilisation de systèmes non supportés.
Recommandations spécifiques pour le marché français
Le contexte réglementaire et opérationnel français impose des considérations spécifiques pour la gestion de la fin de vie de Windows 10.
Conformité RGPD
Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) impose des exigences strictes en matière de protection des données. L’utilisation de systèmes d’exploitation non supportés peut compromettre cette conformité :
- Documentation des mesures de sécurité mises en place
- Évaluation des risques pour les données personnelles
- Notification appropriée en cas d’incident de sécurité
- Mise à jour des registres de traitement des données
- Consultation du Délégué à la Protection des Données (DPO)
Ces exigences doivent être intégrées dans la stratégie de transition pour éviter des sanctions potentielles de la part de la CNIL.
Initiatives nationales de cybersécurité
La France a développé plusieurs initiatives pour soutenir les organisations dans leur transition vers des environnements plus sécurisés :
- Le Programme d’Accompagnement à la Cybersécurité (PAC) de l’ANSSI
- Les référentiels de sécurité comme l’EBIOS Risk Manager
- Les labels de cybersécurité comme Cybermalveillance.gov.fr
- Les subventions pour l’investissement dans la cybersécurité
- Les programmes de formation et de sensibilisation
Les organisations françaises devraient explorer ces ressources pour obtenir un soutien dans leur migration vers Windows 11 ou l’adaptation de leurs systèmes Windows 10 restants.
Cas pratique : Une PME française face à la fin de vie de Windows 10
Pour illustrer les défis concrets posés par la fin du support de Windows 10, examinons le cas d’une PME française fictive, “InnovTech Solutions”, spécialisée dans le développement logiciel.
Contexte initial
InnovTech Solutions emploie 50 personnes et utilise un parc de 45 postes de travail fonctionnant sous Windows 10. L’entreprise dépend de plusieurs applications métier critiques, dont certaines sont développées en interne et ne sont pas compatibles avec Windows 11.
Évaluation de la situation
Après l’annonce de la fin du support de Windows 10, l’entreprise a mené une évaluation complète :
- 30 postes sont éligibles pour la mise à niveau vers Windows 11
- 15 postes ne répondent pas aux exigences matérielles
- 5 postes hébergent des applications internes non compatibles avec Windows 11
- Le coût total de remplacement du matériel est estimé à 75 000 €
- Le coût de développement des modifications nécessaires pour les applications internes est estimé à 45 000 €
Stratégie adoptée
InnovTech Solutions a adopté une stratégie mixe :
- Mise à niveau des 30 postes éligibles vers Windows 11
- Achat de 10 postes neufs pour remplacer les plus anciens
- Maintenance des 5 postes avec applications critiques sous Windows 10 non supporté, avec :
- Séparation réseau stricte
- Solutions de sécurité avancées
- Sauvegardes quotidiennes
- Plan d’intervention incident
- Souscription au programme ESU pour les 5 postes restants
Cette stratégie a permis à l’entreprise de maintenir ses opérations tout en améliorant sa posture de sécurité globale, avec un investissement total d’environ 120 000 €.
Conclusions et prochaines étapes
La fin du support de Windows 10 introduit des défis sérieux pour des millions d’utilisateurs de PC dans le monde entier. Ceux qui ne peuvent pas migrer vers Windows 11 se voient confrontés à des limites : un programme ESU coûteux ou l’utilisation d’un système non sécurisé. Dans le contexte français, cette situation est exacerbée par les exigences réglementaires du RGPD et les recommandations de l’ANSSI.
Face à la multiplication des exploits et au paysage des menaces de cybersécurité en constante évolution, les utilisateurs doivent agir rapidement, que ce soit par des mises à niveau, des sauvegardes de données ou un passage à du matériel neuf. Pour les organisations françaises, une planification stratégique, prenant en compte les aspects techniques, opérationnels et réglementaires, est essentielle pour naviguer cette transition de manière sûre et conforme.
La fin de vie de Windows 10 doit être vue non pas comme une fin, mais comme une opportunité pour moderniser l’écosystème informatique et renforcer la posture de sécurité globale. En adoptant une approche proactive et stratégique, les organisations et les particuliers peuvent transformer ce défi en une occasion d’améliorer leur résilience face aux cybermenaces croissantes.